Thierry Pajot Thierry Pajot

India 2018

Quand on atterrit à Kolkata en provenance de Dubaï , Le choc est total , seulement amorti par l’aéroport qui a été refait et modernisé.Après les formalités d’usage , on plonge , ça y est , on est au Bengale.Je me souviens de ma première arrivée ici il y a plus de 30 ans , venant du Bangladesh , aux derniers jours de la mousson.Les rues étaient submergées , et certains s’accrochaient aux rares poteaux d’éclairage dans la nuit moite pour se préserver de l’eau.Ce jour là , je me suis dit que l’Inde on l’adoptait , on la prenait dans ses bras , on s’en régalait , s’y enfouissait ou on en repartait vite , incapable de la supporter.J’y suis alors resté plus de 2 mois pour un grand périple ponctué par l’assassinat d’Indira Ghandi et le couvre feu ici même , qui s’appelait alors Calcutta , rendant la capitale du West Bengal totalement déserte , scènes irréalistes et inoubliables.

J’y reviens depuis , souvent à Kolkata.

Elle a la réputation d’une cité rebelle , tournant tête au gouvernement central , lieu de foisonnement intellectuel , quand Delhi est politique , Mumbaï dédiée aux affaires , à la finance et au cinéma , Chenaï industrielle et Bangalore tournée vers l’informatique et le futur.

Le taxi jaune , une vieille Ambassador comme il en est des milliers dans toutes les grandes villes , m’emmène cahin caha vers le centre.Combien d’années et de millions de kilomètres ont pu rouler ces fidèles serviteurs ? Le taximètre tourne dans le vide , sans intérêt ,le prix a été convenu à l’avance.Avec la grande gare d’Howrah , c’est le seul lieu où l’on paie d’avance à un guichet sans discussion ni négociation , ce qui ne sera plus jamais le cas après.Sur la planche de bord , à gauche du chauffeur , trône une petite image de Vishnu et quelques fleurs oranges , des oeillets d’Inde , bien sûr.Régulièrement aux arrêts , il se penche pour cracher un grand jet de salive à travers la vitre ; personne ne s’en émeut , sauf moi au début , j’avais oublié. Curieux que dans cette ancienne colonie britannique , on roule à gauche , volant à droite , en kilomètres quand aux USA , on roule à droite , volant à gauche en miles.

On approche de la saison de la mousson , bientôt en juin juillet , les températures commencent à s’élever , 35-40° , et l’humidité qui les accompagne.Un petit ventilateur poussif soulage à peine le chauffeur qui klaxonne en permanence , doublant , doublé , à l’arrêt , en roulant , voire précédé ou suivi par personne .

Ce qui fascine ici , comme dans l’ensemble du pays , c’est l’incroyable densité de circulation et d’êtres humains : voitures , bus , motos , camions , rickshaws à moteur ou à bras , véhicules tirés à bras d’hommes charriant des charges inouïes sous les regards indifférents.Au milieu de ce flot incessant , les saris colorés , toujours élégants , garnis de broderies dorées ou argentées.

L’Inde est en passe d’égaler voire de dépasser la Chine avec 1.3 milliards d’habitants sur un territoir dont l’extrême nord est peu habité.Plus que l’illustration par les chiffres ou un traité de géographie , la traversée des villes et des campagnes se fait toujours largement accompagné et il est très rare de déambuler seul

Le taxi me dépose au pied du YMCA , près du New Market et du parc Maidan où j’ai mes habitudes.C’est un bâtiment en briques de 3 étages , datant de 1902 , construit à l’ère britannique , peu ou pas rénové depuis.Il abrite, notamment, un cabinet comptable , un salon de massage , un centre de témoins de Jéovah , un terrain couvert de badmington et une trentaine de chambres.

Je n’ai pas réservé.Le jeune garçon minuscule , sans arrêt en mouvement , qui est tout à la fois concierge , groom , intendant me reconnaît.Comme tous les visiteurs , je dois remplir à la main un immense registre comme c’était autrefois la pratique en Europe.J’ai de la chance , ma chambre 304 au dernier étage , se libère et je retrouve la grande pièce , vieillote qui me suffit avec sa vue imprenable sur les toits et terrasses voisines.Je vivrai les quelques nuits ici avec le ventilateur , vital pour l’occidental peu rompu aux températures nocturnes élevées.

J’aime me retrouver et plonger dans cette ville , la sensation physique de cette masse humaine , les parfums qui se mêlent , les odeurs des petites échoppes de restauration où l’on se nourrit à toute heure et l’incessante sérénade des avertisseurs , moteurs et notamment ceux , ronflants et sublimes en provenance des motos Royal Enfield.

Belle saga que celle de cette marque anglaise créée au 19 ème siècle.Elle doit son nom au siège un temps établi à Enfield au nord de Londres.Constructeur initialement de vélos “made like a gun” , puis de pièces de fusil , aiguilles , autos , motos , après des épisodes chaotiques , elle est implantée depuis 1956 à Chenaï et fabrique et vend dans le monde plus de motos que Harley Davidson.Ses produits sont un mélange subtil de robustesse , puissance , technique traditionnelle peu parasitée par l’électronique , et beauté industrielle qui ne laisse pas de me faire rêver

Après une nuit d’avion , douché , changé , je file rejoindre mon english taylor à quelques pas de là.

J’ai mis du temps à trouver puis sélectionner , au milieu des nombreuses boutiques de tailleur , celui qui allait se révéler le plus fiable , capable de reproduire avec une précision parfaite les modèles que je lui confie.Nous ne nous sommes pas vus depuis un an mais il me reconnaît d’emblée et m’accueille en souriant.Sa boutique où s’entassent les travaux en cours ou terminés est étroite.Au fond son assistant est à sa machine avec entraînement à pied.Il y coud 6 jours sur 7.Il regarde ce que je lui apporte , retourne , jauge et donne rapidement son prix.C’est plus cher qu’ailleurs mais j’ai compris avec le temps que c’est la valeur de la qualité de son travail.Par ailleurs , il est intraitable : aucune négociation possible contrairement aux autres commerces.Ses clients sont fidèles et reconnaissent son talent et il réalise aussi des vêtements sur croquis ; quand j’arrive , il est en train de mettre au point à partir d’un dessin une robe de soirée.Il me montre quelques photos de réalisations , drappés sophistiqués.

Alors à quoi bon marchander ? Il a suffisamment à faire , d’ailleurs les délais s’en ressentent mais ce sera prêt avant mon départ.

Au retour , levant les yeux , je suis ébahi par l’installation électrique à l’extérieur d’un immeuble : enchevêtrement de centaines de fils dans un fouilli inextricable partant dans toutes les directions.Qui peut en maîtiser l’ordonnancement et accessoirement éviter les courts circuits ? Mais miracle ou forces divines , cela fonctionne , c’est aussi ça l’Inde .

Je dois préparer mon voyage à l’intérieur du pays en commençant par l’état du Madhya Pradesh.C’est un état de l’Inde sans façade maritime , 73 millions d’habitants y vivent et Bhopal sa capitale est malheureusement connue suite au désastre de 1984 : l’explosion de l’usine Union Carbide qui fit plus de 20 000 victimes et bien plus encore de blessés , traumatisés ou défigurés à vie.C’est une région assez rurale qui possède des sanctuaires et temples remarquables , notamment ceux de Kajuraho classés au patrimoine mondial de l’Unesco.Plutôt que l’avion , je décide de m’y rendre en train et en bus.J’ai gardé en tête de mes voyages précédents des souvenirs intenses de périples interminables dans les wagons et sur les couchettes des trains indiens.Mais ici , la population choisit majoritairement ce moyen de transport , le préférant aux bus plus inconfortables pour les longs trajets : il faut une quarantaine d’heures pour traverser d’est en ouest , de Kolkata à Mumbaï.

Indian Railways s’est améliorée , la réservation par internet est désormais possible . A défaut un bureau réservé aux étrangers est ouvert dans le centre.De nombreux bengladeshis s’y pressent pour rejoindre leur pays voisin . En moins de 2 heures , miracle , mon billet est réservé pour le lendemain , destination Panna à quelques 600 kilomètres , 20 heures de trajet en AC ce qui correspond à des couchettes , compartiment semi ouvert , ventilation et air climatisé , wagons datant quelque peu...

Je déambule pendant la soirée dans le New Market et ses rues adjacentes , enfilade sans fin de stands et de boutiques variées.Les indiens adorent s’y promener , essayer , goûter , négocier , acheter , tout cela dans une ambiance festive , les lumières , les fumées d’encens , la musique , les multiples parfums et odeurs devant chaque kiosque de nourriture.

Le lendemain matin , rendez-vous avec une amie au TollyGunge Golf Club.Depuis 1895 , le club créé par Sir William Cruikshank , est réservé à l’élite , incroyablement situé au coeur de la ville comme un havre de calme et de quiétude improbable.

Le week end , les membres fortunés s’y pressent pour déjeuner , se rencontrer et jouer sur le parcours méticuleusement entretenu . L’immense halle qui sert de restaurant extérieur est située au bord du parcours , devant l’aire de départ où les joueurs prennent leur stance . Au plafond , des dizaines de ventilateurs hors d’âge brassent l’air pendant que des serveurs zélés , revêtus des couleurs vertes du club , prennent les commandes du brunch dominical.

J’y rencontre un ancien tea trader qui m’explique l’origine du thé en Inde.Il y était totalement inconnu il y a 2 siècles quand les anglais le découvrirent en Chine et en devinrent de grands amateurs.Les autorités impériales chinoises exigeaient le paiement en argent métal . Las de ce système , les colonisateurs décidèrent de transplanter des pieds en Assam et Darjeeling où il s’acclimata très bien.Au début , cette boisson était très mal vue et il fallut quelques décennies pour qu’elle soit adoptée , faisant de l’Inde le premier consommateur mondial , 2 ème producteur après la Chine de cette boisson chaude , la plus consommée ( 6 000 tasses par seconde) devant le café.

N’oublions pas que les britanniques ont introduit l’opium en Chine . En provenance d’Inde.

Cela fait maintenant plusieurs heures que je roule en direction de Panna , plein centre de l’Inde.Chaque compartiment , sans porte , comporte 6 couchettes et 2 sont aménagées dans le couloir faisant face.Des vendeurs ambulants passent jusque tard en soirée proposant au choix : journaux , serviettes de toilette , cigarettes , accessoires de téléphone portable , salades composées , thé et boissons fraîches.

Le train est très long , composé de plus de 20 wagons ; j’en ai compté plus de 50 pour les marchandises.Il redémarre de chaque gare après un double coup de klaxon , identifiable dans tout le sous continent , qu’il répétera souvent en rase campagne ou traversant les quelques rares villages où il ne s’arrête pas.

L’intérieur est ancien , très ancien.Chaque wagon a son Train Chief qui fournit en arrivant une paire de draps et un oreiller , comme amidonnés , enveloppés dans du papier kraft.

Fort de tout cela , la nuit se déroule sans encombre et permet de parcourir 250 kilomètres.

Au matin , dépourvue de toute influence maritime , la température s’élève rapidement pour atteindre 40° et pendant tout le séjour en MP , la période 11 / 16 heures sera dévolue au repos et à la sieste.

C’est maintenant la pleine saison sèche , les plaines sont brûlées , seulement barrées d’innombrables cheminées de briquetteries artisanales et ponctuées de manguiers colossaux délivrant une ombre salvatrice.

Mes compagnons de voyage m’interrogent , comme très souvent ici , sur mon pays d’origine : la France saluée : friend , good country ou quelque nom de footballer . Rapidement , c’est la séance photos et plus particulièrement selfie . En Inde , les selfies sont une passion , une activité incontournable à chaque nouvelle rencontre , nouveau lieu.A tel point que d’immenses panneaux publicitaires vantant les derniers modèles de portable indiquent qu’ils permettent de réaliser les ‘best selfies’ : tel est l’argument décisif qui doit emporter l’achat.

En fin d’après midi , je laisse mes voisins poursuivre leur voyage et m’engouffre dans un bus local bondé , klaxonnant.L’assistant du chauffeur hurle des destinations que je ne comprends pas pour faire venir à lui les voyageurs ; je me rassure en me faisant confirmer que nous roulons bien pour Panna , toute proche de la Wilde Animals Reserve où je vais essayer d’aller observer le tigre indien.

16.00 , la chaleur étouffante va commencer à décliner.J’embarque dans un véhicule sans toit , accompagné de 2 gardes et nous entrons dans le parc.Aprés les immensités plates traversées auparavant , le relief est ici plus marqué.La végétation , mélange de forêt et de savane est très sèche.Le large fleuve et les grands espaces rappellent des paysages africains.Nous croisons des daims , des sambars , cervidés de taille imposante qui peuvent dépasser 300 kilos.Ils paraissent lourds et je les crains impuissants face à l’appétit des fauves.Nous rejoignons , au bord du fleuve , des gardes équipées d’antennes qu’ils orientent vers le bord de l’eau.Le sifflement indique qu’un tigre muni d’un collier est dans les environs.Nous nous mettons silencieusement en observation mais il restera , pour l’instant , tapi dans les hautes herbes.

Ce matin , les gardes ont repéré un léopard et nous nous dirigeons vers la falaise où ils l’ont observé.A quelques dizaines de mètres , je le distingue , tâche claire se détachant à l’oeil nu sur les rochers escarpés et foncés.Avec les jumelles , je peux suivre son attente d’abord immobile , seulement ponctuée par les mouvements de sa queue.Son pelage est clair et tacheté et il dégage un impressionnant sentiment de puissance.A une cinquantaine de mètres , des singes sont assis dans un arbre , l’observant , et se mettant à hurler quand le félin se lève pour se déplacer légèrement.Ils jouent leur rôle de veilleur pour la faune environnante et pour eux également car ils ont à faire à un redoutable grimpeur.La lumière qui commence à décliner nous empêche désormais de le distinguer.Maître du parc avec les tigres , dont je me demande d’ailleurs comment ils cohabitent , il poursuivra sa traque impitoyable tard dans la nuit.

Kajuraho . C’est un des lieux les plus renommés et respectés en Inde , ses temples sont inscrits au patrimoine de l’Unesco.Cette petite ville est même dotée d’un aéroport pour la rejoindre depuis Delhi et Vanarassi.Elle abrite 3 zônes de temples : ouest les plus importants , est , les temples Jaïn et le sud que je ne visiterai pas.L’ensemble , capitale religieuse des Chandela , fut construit entre 900 et 1130.On compta jusqu’à 85 temples , il en reste aujourd’hui 22 dédiés aux cultes hindouïste et jaïn qui connurent une forte expansion il y a 10 siècles.Ils furent ensuite envahis par la végétation et redécouverts entre 1840 et le début du 20 ème siècle.

Outre leur splendeur due à la taille , la couleur du granit et la finesse des innombrables sculptures , ils sont réputés pour leurs scènes érotiques : couples enlacés dans des positions audacieuses , femmes aux formes généreuses , au mileu d’autres personnages , l’ensemble délivrant une sensation de vie sereine et douce.Cet érotisme assez cru est étonnant pour ce pays prude , jamais démonstratif sur les questions amoureuses.

A l’ouest donc , sur une immense étendue d’herbe sèche bien entretenue , les plus grands temples se font face , majestueux et fascinants.Travail inouï de construction et de sculpture que , saison sèche aidant , nous ne sommes que quelques dizaines à admirer.Même dégagé de tout aspect religieux , la magie des lieux est propice à la méditation.

Au moment du crépuscule , le soleil disparaît peu à peu dans un fond opaque : c’est unique et sublime , calme et serein , l’Inde offre un de ses lieux les plus envoûtants.

Le lendemain , direction les temples Jaïn

Le jaïnisme me fascine pour ses couleurs , la beauté et la délicatesse de ses sculptures.

Il remonte au 9ème siècle avant JC et compte 10 millions de pratiquants.Il est très présent dans l’économie et la politique et pèse bien au-delà de son importance démographique.Il rejette le système des castes.Son code moral repose sur 5 voeux : non violence , sincérité , honnêteté , chasteté , non attachement aux choses du monde , et 4 vertus :

amitié pour tous les êtres vivants

joie de voir des êtres plus avancés que soi sur la voie de la libération

compassion pour les créatures malheureuses

tolérance pour ceux qui se conduisent mal

Il prône la non violence envers les animaux , donc le végétarisme , également à l’égard des végétaux

Le sanctuaire est ici plus petit , les frises sans l’érotisme de la zône ouest avec tout de même des femmes aux formes généreuses.A l’intérieur , les statues représentent les divinités , agenouillées ou debout dont l’une en marbre d’environ 5 mètres.

Après plusieurs jours dans le Madhya Pradesh , il est temps d’aller chercher un peu d’air marin sur la côte de l’état d’Odisha , ex Orissa.24 heures de train m’emmènent vers la capitale , Bhubaneswar , traversée d’avenues larges et bien entretenues que je laisse après une nuit de repos pour Puri , au bord de la mer.

Puri est connue pour ses temples , ses plages , et ses innombrables hôtels.Les familles viennent en nombre , de l’aube au crépuscule , se baigner dans la mer agitée , le plus souvent entièrement habillées.Et bien sûr , avant , pendant , après , tout ceci donne lieu à des séries de selfies.Je m’échappe quelques heures vers le temple de Konarak ,nettement moins étonnant que ceux de Kajuraho.Sur la route du retour , bordée d’immenses arbres mimosas en fleurs jaunes , je découvre un éco lodge construit au bord d’un lagon qui le sépare de la mer.

Le lendemain , je m’y offre 24 heures de repos confortable alternant la plage déserte sur l’océan indien , lecture et repas bengalis.Au menu , pains de formes variées , certains frits , viandes et poissons macérés dans des sauces le plus souvent piquantes , légumes parfois inconnus et délicieux yaourts confectionnés dans de petits pots de terre.

Le lendemain je retourne à Kolkata par le train de nuit.

A l’hôtel , je remarque le visage attristé de la jeune femme qui m’accueille à la réception.Elle m’explique qu’elle vient de revoir pendant quelques jours son fiancé originaire de Delhi.Elle est hindou , il est musulman.Ils ne pourront pas se marier , son père et son frère s’y opposeraient.Il n’y a vraiment aucune solution ?Si , s’enfuir loin , dans un autre état , se faire oublier de tous en espérant que personne ne les retrouve.Elle ne peut s’y résoudre.

Un peu plus tard , le taxi qui me conduit est loquace : il est très remonté contre la dirigeante du West Bengal , Mamata Banerjee au pouvoir depuis 2011 et qui s’oppose au front de gauche constitué autour du parti communiste d’Inde.Etonnant d’ailleurs de voir sur quelques façades à Kolkata des portraits peints de Marx , Lénine et Staline.

Mamata donc , selon mon chauffeur , faciliterait l’arrivée de populations en provenance du Bangladesh voisin , attribuant des documents d’identité leur permettant de voter , pour elle.Vrai ou faux , ce qui est palpable dans la ville et la région est la proximité de ce même peuple séparé depuis 1947 puis 1971 par la frontière : ils parlent bengali , se nourrissent pareillement , écoutent la même musique et voient les mêmes films.

En 1947 , l’Inde devient indépendante après la domination britannique.A cette même date est constitué le Pakistan , majoritairement musulman.Ce Pakistan est formé de 2 territoires : à l’ouest de l’Inde , le Pakistan actuel et à l’est , à 1 700 kms , séparé par le territoire indien , le Pakistan oriental.En 1971 , suite à de fortes tensions et à la volonté d’imposer à l’est l’ourdour , langue de l’ouest le Pakistan oriental prend son autonomie et devient le Bangladesh actuel.

Mais comment ? tu ne connais pas le Marble Palace , s’étonne mon amie Madhu

Tu ne peux pas manquer d’y aller , surtout après plusieurs visites ici

C’est un lieu unique , d’ailleurs je connais les propriétaires les Mullick , leurs parents étaient de grands collectionneurs d’art.

Au nord de Kolkata , engoncé au milieu d’immeubles gris et vieillis , se dresse le palais entouré d’un grand jardin et d’un bassin.Il se dégage de cet hôtel particulier du 19 ème siècle , ses colonnes de style corinthien et son patio un charme et une quiétude uniques dans cet environnement urbain et bruyant.

Mais le meilleur est à venir.

La famille qui loge encore dans une partie , laisse les visiteurs pénétrer dans plusieurs salles , immense bric à brac poussiéreux , ici et là recouvert de draps , composé de statues , sols en marbre coloré , tableaux , miroirs immenses ,canapés , meubles , pendules , billards...Parmi les tableaux 2 seraient de Rubens , d’autres de Reynolds , Le Titien , Murillo.Le tout sous le regard des familles royales européennes et de la reine Victoria , portraits conservés dans de grands cadres qui ornent les allées bordant le patio.Le temps s’est arrêté et demeure figé dans la moiteur bengalie , témoignage de la splendeur d’une société qui n’est plus.

Sur le chemin du retour vers le centre , je longe les grands bâtiments construits il y a un siècle et plus : la Grand Post Office qui rappelle avec son dôme et ses colonnes la cathédrale Saint Paul ; non loin de là , le Writers’ Building , immense bâtisse rouge qui borde une des grandes places , BBD Bay.

En fin de journée , hâlte au New Market chez Nahoum & Sons.C’est la plus vieille boulangerie de la ville qui réalise aussi d’excellents gâteaux , crémeux et colorés . La famille d’immigrés juifs s’est installée en 1932 et continue de perpétuer la tradition.

Je m’approche du caissier qui délivre à la main un reçu à chacun ; son bureau étroit provient de l’Ohio et date de 1929.Ici les cakes aux fruits sont renommés , ils arrivent dans de grandes caisses de bois prêts à être distribués dans tout le pays et au-delà des frontières.Malgré ma demande , je ne pourrai accéder à l’atelier de fabrication , proche.

C’est secret , je respecte.

Des amis bengalis m’offrent une paire de chandeliers faits de terre cuite peinte.Sur le fond est dessinée une svastika , autrement dit une croix gammée choisie par les nazis comme symbole de l’aryanisme.En Inde , pour les hindous , elle représente le dieu Ganesh et également le jaïnisme.Dans notre esprit , cette croix est tellement associée à l’horreur et à l’abomination que la voir représentée dans les lieux de culte est extrêmement déroutant et troublant.Je suis mal à l’aise.Très mal à l’aise.Mais cette symbolique pré existait largement à l’utilisation exécrable qui en a été faite dans les années 30 en Allemagne.

Avant de quitter , provisoirement , l’Inde et au terme de ce voyage, quelques mots d’économie que je voudrais partager

A Kolkata , et donc avec les prix d’une grande ville , pour 1 000 roupies soit 12 € par mois , une personne entretient et nettoie le logement.

Le sentiment de répartition des richesses que je retiens après quelques semaine est le suivant :

Tout d’abord une infime classe immensément riche , héritiers , entrepreneurs , créateurs , puissante dans l’industrie (mines , acier , textile , agro alimentaire) et les services

A l’autre bout de l échelle , des centaines de millions de pauvres , ouvriers , employés , agriculteurs ou mendiants que le système des castes fige largement dans leur état

Et entre les deux , la classe moyenne des employés , privé ou public , commerçants , artisans , fonctionnaires.Ce qui m’impressionne est que cette classe semble disposer de peu de perspectives d’évolution sociale.

J’aimerais lire une analyse comparative des situations de la Chine et de l’Inde qui disposent désormais des mêmes tailles de population.

J’apprends par la presse qu’un bouleversement économique vient de se produire : Walmart a racheté Flipkart , leader indien du commerce en ligne , fondé en 2007 à Bangalore.La valorisation à 21 milliards $ en fait la plus grosse transaction réalisée dans ce domaine.L’Inde , traditionnellement nationaliste et protectrice de ses entreprises s’inquiète de cette opération qui va affecter le petit commerce et toute la chaîne des fournisseurs.

Ainsi va le pays , immense , fascinant , varié , grouillant , coloré , bruyant , parfois difficile à comprendre , toujours attachant.

Je me demande comment il évoluera dans le mouvement inexorable et bouleversant de la mondialisation dont il est déjà un acteur majeur

J’y reviendrai.Dans des régions très différentes et largement méconnues.

A bientôt , pour de nouvelles aventures.

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