Kurdistan Juin 2023 (FR)

La frontière Turquie Kurdistan irakien à Habur est une divine surprise
On m'avait tout prédit :
Pas de passage de la moto
Visa impossible
J'avais un contact irakien Ă  la douane
La sortie de Turquie se fait sans encombres.
Au Kurdistan , car on ne rentre pas en Irak mais au Kurdistan , le visa en ligne est prĂŞt en 15 minutes
Idem pour les trois guichets pour la moto.
Taxes raisonnables et officielles
C'est bon , rapide , efficace.
Tous sont aimables
La moto , objet de curiosité , aide , ici , comme partout depuis le début.
Je passe sans :
  Assurances
  Certificat de passage en douane
  Permis de conduire adĂ©quat
Let's go on

Le Kurdistan irakien
Ce n'est pas l'Irak
Ce n'est pas une partie du Kurdistan global
C'est un quasi état dans l'état : forces de sécurité , langue , ministères , plaques d'immatriculation , drapeau , et bien sûr identité
Quand je demande , c'est toujours " je suis kurde " , jamais irakien , comme avec les Turcs , de l'autre côté de la frontière.

Les routes sont larges , bien entretenues , grosses voitures , presque Dubaï , ça sent le pétrole.
Des checkpoints , encore et encore.
Light au départ dans mon trajet vers Mossoul.
À 30 kms de l'arrivée , ça devient sérieux.
C'est la frontière Kurdistan Irak.
J'ai un visa du premier , pas du second.
Il faudrait le demander Ă  Bagdad , ben voyons.
Aimables mais fermes
Je reviens sur mes pas , pour demeurer au Kurdistan que je ne quitterai pas : Duhok

350 000 habitants , dans une large vallée , écrasée par la chaleur comme on dit à défaut d'inspiration.
Ça a un petit côté Dubaï : nombreux immeubles en construction , 20/30 étages , argent sale me dit-on.
Vas comprendre , pétrole , trafics , jalousie ?
Des malls aussi , modernes , parkings , espaces verts.
Le centre est traditionnel : boutiques , bazar , mosquée.

Pas loin de l'hĂ´tel , j'atterris pour un verre au Media Saray : grand restaurant , terrasse , salle de mariage : c'est , moderne , impeccable.
Les 107 employés sont aux petits soins.
Voitures de luxe , très luxe.
J'y retourne le soir , narguilé , renouvelé jusque tard en soirée.
Familles , couples , hommes d'affaires.
Vers minuit , un homme s'assoit à ma table pour échanger : c'est Hasan , le propriétaire , créateur du lieu il y a tout juste cinq ans.
Il a aussi des boutiques et fait de l'importation depuis la Chine notamment.
Il a un projet de zoo ici , no comment.
Je lui conseille de réfléchir également à un restaurant Italien à Erbil : chef , produits : j'ai vu le succès il y a quelques mois à Kinshasa.
Il est plutôt chaleureux , on le sent exigeant , attentif aux clients et au moindre détail.
Ses parents vivent dans un minuscule village à 30 kms au nord ; il leur rend visite tous les vendredis , pour un déjeuner traditionnel , on est jeudi soir.
Le lendemain donc , en side car , nous grimpons dans les montagnes , longeant un lac turquoise , c'est le Tigre qui se prélasse avant de rejoindre l'Euphrate , bien plus au sud.
La maison familiale abrite Hamed et Zomred les parents , sa sœur qui arrive de Suède chaque été avec ses trois jeunes enfants.
C'est grand , deux immenses pièces pour s'asseoir ou s'allonger et palabrer , avec un jardin où ils cultivent , en contrebas des montagnes.
L'hiver c'est couvert de neige , difficile d'imaginer...
Nous déjeunons : légumes , viandes en sauce , salade , galettes traditionnelles , boissons lactée froide à l'aneth , yaourt maison.
Le père , allongé sur son matelas près de ses deux fusils , avait une petite boutique au village.
Le fils s'est fait tout seul.

Le soir , beaucoup de monde de sortie ce vendredi , comme un samedi pour nous , les glaces , une passion locale , styles machine italienne.
Les voitures s'arrêtent , le père sort et revient les cornets à la main.
On m'offre la mienne.
Bien sûr...

En Turquie
Samedi et dimanche
En Irak et dans les autres pays arabes
Vendredi et samedi
En Iran
Jeudi et vendredi

Le Kurdistan irakien
Les Kurdes :
En conclusion ,
Avant de détailler et de rencontrer plus de locaux :
Quasi Ă©tat , fonctionne quasiment comme tel
Richissime de pétrole
Tient tĂŞte Ă  Bagdad
Qui se débat avec ses problèmes : Iran , mosaïque de musulmans , jeu américain , leader Soudani , incertain.
Les 7 millions de Kurdes vivent sur 85 000 km2 , capitale Erbil.
Ils sont Ă  plus de 90 % musulmans sunnites.
L'histoire récente , c'est une succession d'insurrections : 1961 , 1974 , 1975 , 1983.
Une lutte féroce entre les deux partis autonomistes dominants , PDK et UPK , chacun avec ses milices privées.
Un bras de fer sanglant avec Saddam Hussein. Pendant la guerre Iran Irak , en 1988 , le leader du parti Baas lance l'opération Anfal : 182 000 Kurdes massacrés , le village d'Halabja bombardé chimiquement.
1991 , débâcle irakienne au Koweït
1994/97 , guerre civile
2003 , intervention US , armes de destruction massive , Bush , Rice , Rumsfeld , Cheney , Powell et Blair qui suit comme un chiot pathétique.

Chirac et Villepin avertissent , en vain.
Les américains s'allient aux Kurdes , les équipent , ils sont reconnus comme plus efficaces que l'armée régulière irakienne.
Les Kurdes combattent l'Ă©tat islamique et le terrassent
2017 , référendum d'autodétermination , 93% de oui.
Les Kurdes veulent :
  Un Ă©tat indĂ©pendant
  IntĂ©grant Kirkouk la pĂ©trolière pĂ©trolifère

Je quitte Duhok pour Erbil , la capitale du Kurdistan.
Au lieu de prendre la route directe , 150 kms , je fais un grand crochet par le Nord , les villages et les montagnes , double distance.
C'est une succession de paysages grandioses , secs en ce mois de juin , rocheux , escarpés , montagnes , vallées , rivières.
Ce pourrait ĂŞtre un Parc National partout ailleurs.
Parfois une citadelle sur les hauteurs : un poste de contrĂ´le tenu par des peshmergas.
Quelques checkpoints , assez sereins quand on est loin de la délimitation avec l'Irak arabe.
Il fait très chaud sur la route , sans doute au moins 40. Dès que je peux je m'asperge entièrement d'eau , séchage en quelques minutes mais c'est tellement bon.
La moto tient bien Ă  la chaleur , quel ange.
Je m'arrête près d'une rivière encaissée bordée de cafés et restaurants qui surplombent cette fraîcheur bienvenue.
Un couple de Duhok déjeune avec ses deux jeunes enfants.Je suis invité , bien sûr.
Il travaille dans la sécurité , 750 euros ; elle enseigne , 250 euros.
Elle parle un peu anglais , lui pas.

J'avale des litres d'eau et de thé.
Je contrĂ´le mais reste vigilant.

Au sortir d'un village , de jeunes enfants , surtout des filles , vendent des abricots et des prunes dans de petites assiettes en plastique.
Je n'en ai pas besoin , je viens d'acheter des mûres , avec un goût légèrement plus sucré que les nôtres , délicieuses incorporées le soir dans du yaourt , après qu'elles aient passablement coulé dans mon sac à dos et sur mon pantalon beige.
Les enfants donc.
Deuxième partie d'après midi , la lumière se fait plus douce et enrobante.
Leurs regards sont magnétiques.
Ni quémandeurs , ni plaintifs.
Dignes , beaux , Ă©mouvants et touchants.
Je leur parle en français , peu importe.
Ils sont habillés correctement et ne sont pas dans la misère.
J'imagine qu'ils sont seulement sur la route , près des maisons , pour arracher quelques dinars.
Je leur donne.
Un peu pour moi.
Beaucoup pour eux.
Quelques euros.
Trois groupes de deux ou trois.
Je ne prends pas les fruits et les sens incrédules.
Je repars.
Tout le reste du chemin , et pour plusieurs jours encore , je ne peux oublier ces yeux intenses et continue de regretter de ne pas leur avoir donné encore plus.
De temps et d'argent.

J'arrive à Erbil au crépuscule.
Épuisé.

Erbil a tout d'une grande :
  AĂ©roport international.
  Parlement.
  Gouvernement.
  Tribunaux.
  Des quartiers de logements et de bureaux en construction.
  Des parcs.
  Un million d'habitants sans doute.
  Des hĂ´tels haut de gamme , dont le Rotana oĂą dĂ©jeunent les services  secrets français dans le bar climatisĂ© qui jouxte la piscine.

À Duhok , j'avais vu toute une famille en goguette qui dînait chez Hasan.
Ils m'invitent Ă  venir les voir Ă  Erbil.
Ils habitent un quartier résidentiel un peu à l'écart du centre , pas loin de l'aéroport.

Je retrouve un des hommes de la famille : il me reçoit dans leur diwakhan , comme un grand hall ouvert avec des canapés et des tables sur un demi pourtour.
Il y a déjà plusieurs petits groupes qui conversent en buvant thé ou café.
C'est en fait le lieu de réception des principaux membres de la famille : les Wale Anwar Bag'e Betwata.
Ils sont une des familles , un des clans qui compte au Kurdistan.
Très respectĂ©s pour leur intĂ©gritĂ© , leur rigueur , leur richesse et leur anciennetĂ©  , ils sont souvent sollicitĂ©s pour rendre la Sula , dĂ©cision qui se substitue Ă  celle du tribunal.
Ils ont joué un rôle important au moment du conflit avec Bagdad puis Daesh.
Ils sont très proches des Barzani qui dirigent le Kurdistan depuis plusieurs générations ; ils les reçoivent ici.
Il n'y a que des hommes , toujours armés , en plus des gardes du corps de l'entrée.
Je fais connaissance avec des frères , des oncles , des neveux , des cousins qui s'éclipsent après un moment de conversation.
Chaque fois qu'un nouvel invité arrive , tous se lèvent pour le saluer.
Nous échangeons sur les affaires du pays , les combats féroces avec Daesh et le futur du Kurdistan.
Je prends congé après quelques heures.

Sulaymaniyah , ancienne capitale du Kurdistan , pôle culturel du pays est à l'extrémité sud est , à une heure de l'Iran.
Comme dans la plupart des villes kurdes , les femmes ne sont pas voilées et s'habillent à l'occidentale.
Le Musée Amna Suraka , au centre , est un témoignage très fort de ce que furent :
  L'attaque par le rĂ©gime de Saddam Hussein en 1988 des territoires kurdes , l'anfal , et les bombardements chimiques sur la ville d'Halabja. Au total 182 000 morts auxquels il est rendu hommage dans ce couloir labyrinthique constituĂ© de 182 000 morceaux de miroir.
  La lutte Ă  partir de 2003 pour battre Daesh , bouchers immondes , sous couvert d'un islam rigoriste. Les USA ont beaucoup supportĂ© les Kurdes dans cette guerre qui fit plusieurs milliers de morts.Les images sont insupportables de barbarie et de bestialitĂ©.

La grande question , maintenant que la paix est revenue , est celle de l'indépendance.
Le pouvoir , Ă  Bagdad , s'y refuse.
C'est le chiite Sudani qui dirige , au nom des intérêts iraniens dit on.
Comme au Liban , les postes sont répartis sur une base confessionnelle : kurdes et sunnites outre les chiites donc.
Le fils de Sudani possède la plus grande compagnie de téléphone , YQ.
Donc l'indépendance est freinée par les dissensions très anciennes et clivantes entre les deux principaux partis rivaux.
La question de la récupération de Kirkouk et de son argent est aussi un gros obstacle.
Donc le temps long vraisemblablement.
Mais , récemment , tout bouge au Moyen Orient.
Ainsi , les USA nĂ©gocient avec l'Iran , Ă  Oman 
En jeu , le nucléaire militaire et l'arrêt de l'enrichissement au-delà de 60% , les milices iraniennes en Syrie , et au Liban , l'exportation du pétrole par Téhéran et le déblocage de milliards de dollars gelés sur des comptes américains en Corée notamment , à terme aussi la levée des sanctions activées par Trump en 2018 en dénonçant le JCPOA.

La guerre en Ukraine rajoute une dimension ,avec notamment , la livraison de drones Ă  Moscou par TĂ©hĂ©ran.
Iran et Arabie Saoudite , rapprochement spectaculaire ,  sous l'Ă©gide de la Chine , dont l'un des effets les plus apparents est la rĂ©ouverture rĂ©cente d'une ambassade saoudienne Ă  TĂ©hĂ©ran.
Les Saoudiens avec Israël puisque Riyad fait bouger les lignes significativement , jusque dans son refus d'adapter ses exportations de pétrole aux volontés américaines.
Les Chinois offrent leurs services aux Palestiniens pour une paix improbable avec Israël qui passerait par le rapprochement des frères ennemis , Hamas et Fatah.
Les Chinois sont dans tous les jeux , besoin de stabilité dans la région , ils sont désormais le principal importateur de pétrole depuis l'Iran et l'Arabie Saoudite.
Bahreïn , les Emirats et le Maroc ont activé des relations avec Israël , aussi improbable que le rapprochement de ce dernier avec l'Égypte en 1977.

J'ai pris mes habitudes au Jan Café.
C'est bon , café, gâteaux , petit déjeuner , bien décoré , fréquenté par des acteurs et intellectuels , qui côtoient des utilisateurs de portable anonymes.
En arrivant le dernier jour , j'aperçois un homme , la soixantaine , barbe blanche bien taillée , chemise , cravate , costume , beaucoup d'allure.
Nous nous présentons.
C'est Dilshad Questani , il vit à Chaumont depuis une vingtaine d'années , avec de fréquents retours ici.
Il fut très tôt un opposant coriace de Saddam Hussein et des folies de son régime ; il n'aurait pas dû survivre.
Il fut donc réfugié politique en France , un vrai.
Il est peintre , a exposé dans une vingtaine de pays dans le monde ; il admire et encense Turner.
Il est acteur de cinéma et tourne en studio cet après-midi.
Par les hasards de la vie , le monde est petit , nous avons des connaissances communes au Caire :
  Pierre Brassard , acteur Ă©galement et qui tient la Loft Gallery , espace d'art , d'antiquitĂ©s et d'artisanat dans le quartier de Zamalek. Il a des goĂ»ts très sĂ»rs et ses objets en vente sont souvent magnifiques.
Il fut journaliste pour le Canada en Egypte pendant une vingtaine d'années.
Nous lui envoyons une photo de nous deux...
  Farouk Hosni , l'ancien ministre de la culture et de l'archĂ©ologie de Moubarak , qui devait diriger après son passage aux affaires l'UNESCO. On lui doit , notamment , la Bibliothèque d'Alexandrie , somptueuse et mythique par l'architecte norvĂ©gien Snohetta.
Nous nous reverrons , bien sûr.

J'ai arrêté mon programme.
Renoncé à l'Iran , visa et entrée de la moto trop incertains , beaucoup de regrets car j'avais très envie de revoir mes amis professionnels d'ISQI à Téhéran avec qui j'échange souvent.
Et l'Iran aussi , que j'aime tant.
À venir d'une façon ou d'une autre.
Je rebrousse chemin , en repassant la frontière turque à Habur après 11 jours intenses et superbes au Kurdistan.
Ensuite , remontée plein nord le long des frontières orientales turques , pour entrer en Géorgie où tant de souvenirs et de marqueurs m'attendent , désormais.

Je traverse des paysages grandioses , vallées et montagnes , à Rawanduz notamment.
À Dukan , je m'arrête pour déjeuner en terrasse au dessus de la rivière , on est samedi , donc comme un dimanche pour nous , beaucoup de jet skis en direction du Lac.
Je déjeune avec un jeune couple d'Erbil , mariés récemment , ils travaillent dans les ressources humaines , lui université et elle compagnie pétrolière Kurde.
Ils m'expliquent le mariage ici :
Rencontre , fréquentation , présentation aux familles , celle de la femme est la plus décisive.
Si tout se passe bien , mariages religieux et civil.
Quelques temps après , cérémonie et fête ; c'est après , et seulement après , qu'ils peuvent vivre ensemble.

Je passe une nuit rapide à Duhok , même Hôtel Lara , et soirée au restaurant d'Hasan qui doit rejoindre Erbil dans la soirée.

Le lendemain , dimanche , passage de la frontière à Habur , comme à l'aller.
Sauf que ,
Il y a beaucoup plus de véhicules.
Et il fait très chaud , je cherche l'ombre et bois énormément d'eau qu'on m'offre.
Pas mal de turcs qui rentrent Ă  pied au pays
Je passe une dizaine de guichets sans aucune corruption: celle ci et les tracasseries qui vont avec sont souvent inversement proportionnelles au niveau de développement du pays.
La deuxième entrée au Congo cet hiver , 36 heures et plusieurs centaines de dollars fut très pénible.
À part la longue file d'attente côté Kurde , tout se passe bien.
Une plaque nĂ©erlandaise : des kurdes qui rentrent de vacances au pays , 4 jours de route.
La moto attire les regards et la curiosité.
En deux heures et demie et plusieurs litres d'eau après je suis de nouveau rentré en Turquie.

Je m'arrête , épuisé , à Cizre , 40 kilomètres de la frontière , pour me refaire une santé dans un hôtel très agréable le long du Tigre.

En route pour la remontée

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